Unire, disunire, ri-unire, il movimento dell’essere umano. La déclaration Schuman ou l’Horloge, du temps de la guerre froide au temps du Covid

9 mai 1950, dans le salon de l’Horloge du ministère des Affaires étrangères de France, le ministre Robert Schuman fait une déclaration qui deviendra un acte fondateur de la construction européenne. Les premiers mots de la déclaration liminaire ne trompent pas, il s’agit bien d’un acte : « Il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif. » Cette déclaration « propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe. Cet « acte », cette « déclaration Schuman » est pensée progressivement par Jean Monnet, depuis deux mois, durant des kilomètres de marche en Suisse[1].

Cet acte repose sur un constat, une méthode, un objectif. Le constat est la peur. Cinq ans après la capitulation allemande, la peur d’un nouveau conflit mondial, nourrie par la guerre froide, est réelle et conduit à une véritable psychose. « Cette crainte, écrit Monnet, engendrait la paralysie, et la paralysie appelait la fatalité. Recréer le mouvement était nécessaire. » Telle est la méthode, avancer pas à pas, construire des « réalisations concrètes » en les agençant dans des institutions. Une institution, la « Haute Autorité », est imaginée par un jeune professeur de droit international à l’université d’Aix, Paul Reuter. Car, Monnet le sait et le répète, si « rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions ». L’objectif est le maintien de la paix par la construction progressive d’une union dépassant les nations. À cet égard, les dernières lignes de la première version de la déclaration qui ont disparu au fil du travail de réécriture, méritent d’être relues. « Cette proposition a une portée politique essentielle : ouvrir dans le rempart des souverainetés nationales une brèche suffisamment limitée pour rallier les consentements, suffisamment profonde pour entraîner les États vers l’unité nécessaire à la paix. »

9 mai 2020, les États d’Europe et d’ailleurs, se préparent à une sortie progressive de confinements liés à la pandémie Covid-19. Une crainte diffuse et réelle est partout présente. Des mesures justifiées de sauvegarde de la santé publique ont aussi conduit à des replis nationaux. « Le même phénomène de crainte, écrivait Jean Monnet, pouvait provoquer des réflexes contraires : l’union … l’isolement. » Le constat de crainte est aujourd’hui le même, fût-ce pour les motifs différents d’il y a 70 ans. Des méthodes sont connues. Des institutions ont été mises en place dans le cadre de l’Union européenne. Elles se sont montrées peu efficaces dans cette crise Covid-19, comme dans la crise de l’asile en 2015, car, pour agir, il reste à repréciser l’objectif. Cela nécessite le courage politique d’une sorte d’acte fondateur. L’objectif de ces pères fondateurs était, non de coaliser les États, mais d’unir les hommes, tous les hommes et toutes les femmes. Du reste, Monnet notait, en 1952, lors d’une conférence à Washington devant le National Press Club : « Six pays européens ne se sont pas engagés dans la grande entreprise d’abattre les barrières qui les divisent pour dresser des barrières plus élevées contre le monde extérieur[2]. »

La commémoration de cet acte fondateur qu’est la déclaration Schuman n’est pas vaine si elle permet aux chefs d’États d’aujourd’hui, et à ceux qui les conseillent, de se rappeler qu’il est des moments charnières. Ce sont des moments où un acte qui fait sens et donne une direction peut revêtir une grande importance. Le moment présent semble appeler un tel acte, manifestation concrète de respect et de solidarité. Car chacun sait que le Covid-19 vaincu, il restera les miroirs à affronter[3]. L’Horloge attend.

Jean-Yves Carlier, professeur aux universités de Louvain et de Liège 

 

[1] Dans ses mémoires, Monnet donne une description détaillée de ces événements, J. Monnet, Mémoires, Fayard, 1976, pp. 340-372. Les citations qui suivent en sont extraites. Elles demeurent très éclairantes, même si, en partie, elles participent à ce que certains considèrent comme la construction d’un « mythe des origines », M. Joly, l’Europe de Jean Monnet, Paris, CNRS, 2007, coll. Biblis, 2017, ici p. 74. Plus positivement, voir B. Nascimbene, « Da Robert Schuman a Jean Monnet. La diffusione della conoscenza del diritto dell’Unione europea », rivista.eurojus.it, 2019, fasc. 4

[2] Archives Marianne Monnet-Noblecourt, cité dans E. Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996, p. 624.

[3] Je détourne les mots d’une œuvre romanesque de Jean Giono, située au XIXe siècle dans le cadre d’une épidémie de choléra aux confins de France et d’Italie : J. Giono, Le Hussard sur le toit, Gallimard, 1951, réédition La Pléiade, Œuvres romanesques complètes, t. IV, 1977, p 577 : « Le choléra fini, il restera les miroirs à affronter ».


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